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Une longue marche… Et de belles rencontres.

Après l’initiation de Grandjean, la voie royale semblait ouverte… Pourtant, mes premiers pas en cristallographie auraient pu être les derniers. Entamer l’étude de sa première structure en disposant d’un prétendu monocristal qui n’était en définitive qu’une macle parfaite entre deux individus monocliniques quasi-identiques accolés par une face n’était pas une sinécure… Cette macle était vue par les rayons X comme une symétrie orthorhombique, donc prohibait toute résolution puisque ni le groupe d’espace ni la symétrie apparente n’étaient vrais… Malgré plusieurs préparations, plusieurs cristaux, plusieurs enregistrements, le phénomène restait systématique… Désespérant, mais excitant ! Heureusement que les cours de Grandjean m’avaient appris ce qu’étaient les réflexions équivalentes. Ce n’est qu’après deux ans, en désespoir de cause, après avoir enregistré les réflexions dans le demi-espace, que j’ai édité toutes les intensités de tous les hkl et que je me suis aperçu que l’équivalence attendue n’était pas vérifiée en orthorhombique, mais l’était en monoclinique. Une fois ceci compris, la structure fut résolue en un après-midi…

Ce long échec fut en même temps une double chance : celle d’approfondir moi-même tous les fondamentaux des lois de la cristallographie (que j’ai appris alors du livre de Monsieur Guinier !), mais aussi, compte tenu du résultat, celle de susciter l’intérêt de Monsieur Bertaut pour les potentialités magnétiques qu’offrait ce fluorure de chrome et de manganèse compte tenu de sa topologie. Il m’invita à Grenoble pour les approfondir jusqu’à aller à la structure magnétique, m’ouvrit les portes de son laboratoire et celles de l’Institut Laüe-Langevin, où je retrouvai mon ami Jean Pannetier, devenu local contact, mais initié en même temps que moi à la cristallographie par Grandjean. Rencontres capitales que ces deux-là.

Monsieur Bertaut, d’abord, cet immense monsieur, d’une culture extraordinaire et d’une attention sans bornes à mon égard, cet homme, de son vrai nom Erwin Lévy, qui, jeune avocat allemand fuyant l’Allemagne nazie, devint en France, par goût de la science, chimiste organicien puis, bien avant les autres, chimiste du solide puis physicien sous l’impulsion de Louis Néel, et cristallographe en apprenant la diffraction de neutrons. Je lui dois, outre son accueil, de m’avoir suivi dans tous mes progrès et de m’avoir posé, à chaque fois que je lui présentais des résultats, la même question, fondamentale pour qui veut progresser : « Oui ! Férey ! Mais pourquoi ? ». J’en ai fait ma philosophie, grâce à lui, et la transmets à mes élèves.

Jean Pannetier, ensuite, mon Ami, mon frère, trop tôt disparu, lui aussi. Nous avons fait un beau bout de chemin ensemble, avec la complicité de Juan Rodriguez-Carvajal. Aussi passionné que moi pour les structures, animés tous deux des mêmes questionnements, imaginatif, curieux de tout, il était arrivé à l’ILL de Grenoble comme local contact après quelques années aux Etats-Unis après sa thèse à Rennes. Chimiste passionné d’informatique, très vite accepté par les physiciens de l’ILL pour son tonus et sa culture, deux questions le hantaient, qui touchaient à l’apport de la cristallographie à la chimie du solide : (i) par quelles étapes se forme le solide à partir de ses précurseurs ?; (ii) peut-on prédire sa structure si on connaît sa formule chimique et les paramètres de sa maille cristalline ?

Sur le premier point, les facilités qu’offrait l’ILL en termes de développement technologique associé aux grands instruments lui a permis, avec l’aide d’Allan Hewat, de faire œuvre de pionnier en développant les méthodes de diffraction des neutrons en temps réel (qu’on appelle maintenant therrmodifractométrie). Placés dans des containers étanches, les précurseurs sont introduits dans des fours et soumis au faisceau de neutrons. Ces fours peuvent être à température variable, si l’on veut voir la destruction des précurseurs qui donne naissance intermédiairement à des phases métastables ou, directement, au solide final, toutes caractérisées par leur spectre de poudres. On a ainsi accès aux étapes d’une réaction solide-solide. Si l’on travaille ensuite à température constante pour une étape de la réaction on atteint la cinétique de transformation, informations toutes utiles au chimiste de synthèse. Daniel Louër, que j’ai déjà évoqué, a adapté la méthode de Pannetier aux rayons X avant que des diffractomètres commerciaux de laboratoire prennent ensuite le relais, à mon grand bénéfice. C’est devenu pour moi un outil de routine pour me renseigner sur les transitions de phase et les températures auxquelles elles interviennent, avec une information beaucoup plus substantielle que les méthodes d’analyse thermique classiques, sans compter les informations structurales que l’on peut déduire de l’analyse des spectres de poudre correspondants.

Sur le second point, Jean Pannetier a aussi été un pionnier, au même titre - mais avec des approches différentes – que Richard Catlow, à Londres, ou John Newsam, à San Diego. Prédire une structure, ce peut être un jeu intellectuel (c’était le cas de Jean) ou le dernier recours lorsque la cristallographie a montré ses limites, en l’absence de cristaux. Jean était persuadé – au moins pour les structures simples – qu’il suffisait de connaître la composition chimique du solide considéré (donc les distances interatomiques usuelles connues depuis longtemps) et les paramètres de sa maille cristalline pour atteindre la structure. Il a pour cela développé avec succès un programme combinant à la fois une méthode de Monte-Carlo avec recuit simulé et le programme DLS (Distances Least Squares) développé par Christian Berlocher à l’ETH Zurich pour arriver au résultat. Ma seule contribution aura été de lui apporter mes connaissances cristallochimiques et lui fournir les produits capables de valider sa méthode. Sa démarche m’a inspiré, plus tard, pour développer à partir d’autres concepts ma méthode AASBU, (Automatic Assembly of Secondary Building Units) beaucoup moins chronophage en temps calcul, pour prédire la structure des solides mésoporeux.

Ces stages grenoblois ont été extrêmement fructueux pour ma culture cristallographique. En plus elle m’avait permis de commencer à me familiariser avec la cristallographie des poudres…