André Durif Varambon, né le 30 mars 1929, nous a quittés le 17 septembre 2019 après une remarquable carrière scientifique au CNRS. Cet artisan exceptionnel dans la découverte de nouveaux matériaux a mis en jeu toute la richesse de la chimie du solide, mais aussi celle de la chimie organique à la fin de ses travaux. Pour cela, il a utilisé dans ses études le fabuleux outil de la cristallographie dont il a suivi l’évolution au plus haut niveau scientifique depuis l’Angleterre qu’il a fréquenté dans sa jeunesse.
Après sa License-es-Sciences Physiques, obtenue à l’Université de Grenoble en Juin 1952, André Durif Varambon a été recruté par le Laboratoire d’Electrostatique et de Physique du Métal, dirigé par Louis Néel, comme stagiaire de recherche au CNRS puis comme Attaché de recherche CNRS. Durant sa thèse d'état, sous la direction de Erwin Félix Levy-Bertaut (1952-1958), il a étudié de manière systématique la chimie structurale des germanates en comparaison avec celle des silicates, puis élargi ce domaine d'investigation en synthétisant un grand nombre de composés non silicatés isotypes de ces derniers. Bien que conduites avec les moyens très modestes de l'époque, ces recherches furent très fructueuses puisque conduisant à la caractérisation de plus de soixante composés nouveaux, parmi lesquels le germanate de bismuth, plus connu de nos jours sous le vocable commercial de BGO.
Durant la période couvrant les années 1959-1972, son activité scientifique fut essentiellement axée sur l'étude des composés de type spinelle et plus spécialement des divers types d'ordre pouvant intervenir dans ce type de structure. Il est promu Maître de recherche CNRS en octobre 1960 puis, Directeur de recherche CNRS en octobre 1964.
La troisième étape de sa carrière, à partir de 1966, est essentiellement consacrée à la chimie structurale des phosphates condensés. Avec ses « collaborateurs remarquables », comme il les qualifient dans son dossier de carrière, il a pu en quelques années débroussailler le grand chapitre de la chimie des phosphates, au point qu'aujourd'hui après la caractérisation de plus de 600 nouveaux composés, une classification cohérente des phosphates condensés basée sur la géométrie de leurs anions est clairement établie et qu'une nomenclature cohérente a été adoptée. Cette exceptionnelle accumulation de résultats obtenus par A. Durif Varambon et son équipe a donné lieu à de retombées technologiques importantes telles que les ultra-phosphates de terres rares, premier exemple de cristaux laser stœchiométriques ; la découverte de KTiOPO4 (KTP) l’un des meilleurs cristaux pour l'optique non linéaire quadratique ; la préparation d'un nouveau phosphate-tellurate d'ammonium (TAAP) qui est le meilleur concurrent du triglycine-sulfate de par ses propriétés pyroélectriques (caméras IR) ; les diagrammes d'équilibre MPO3-M(PO3)2 qui constituent une solide base pour le développement d’engrais retard pouvant mettre un terme à la pollution des nappes phréatiques ; la préparation des seuls substituants biodégradables de l’amiante dont ils possèdent toutes les qualités mécaniques et thermiques.
André Durif Varambon a poursuivi ensuite ses travaux sur les phosphates avec sa principale collaboratrice, M.T. Averbuch-Pouchot, vers l'étude des grands cycles de phosphates condensés cycloocta- ou cyclodéca- ou dodécaphosphates. Il a rassemblé avec elle l’essence de ces travaux sur les phosphates condensés dans deux ouvrages de référence et plusieurs articles de revue. De plus, il a géré durant de nombreuses années deux banques de données structurales spécialisées dans ce domaine. L’ensemble de ses travaux sur les phosphates menés durant une trentaine d’années, jusqu’en 1996, constitue l’œuvre majeure d’André Durif Varambon qui a conduit à sa renommée internationale : il a ainsi été qualifié du surnom évocateur de « Pape des phosphates » par ses collègues russes.
En parallèle de ses travaux de recherche, il a enseigné la cristallographie à l’Ecole Nationale Supérieure d’Electrochimie et d’Electrométallurgie de Grenoble de 1958 à 1965, a été membre de la commission des journaux de l'Union Internationale de Cristallographie et co-éditeur de la revue Acta Crystallographica de 1985 au début des années 90. D’autre part, au niveau international, il s’est fortement impliqué à partir de 1975 dans des actions de coopération de recherche et d’enseignement de la cristallographie (DEA Matériaux à Bizerte) avec les universités de Monastir, Tunis et Bizerte en Tunisie.
Au début des années 90, il a produit des matériaux hybrides « organo-minéraux » mettant en évidence une ingéniérie cristalline très directive grâce aux liaisons hydrogènes qui gouvernent l’empilement des molécules organiques. En tant que responsable du Groupement Grenoblois de Diffractométrie depuis sa création en 1980, il lui apparut clairement que le département de chimie de l’université devait disposer de son propre équipement de radiocristallographie. Le manque de cristallographes expérimentés dans cet organisme l’a conduit ensuite à demander en 1996 sa mutation au laboratoire LEDSS de l’Université J. Fourier avec Marie Thérèse Averbuch-Pouchot. Partant de zéro, ils mirent en place le service de cristallographie en quelques mois. Découvrant un environnement ignorant la cristallographie et la cristallogenèse, André Durif Varambon se tourna vers ce qui allait être la contribution majeure de ses dernières années d'activité : la transmission, la formation et l'éducation que ce soit au laboratoire ou dans le cadre d'actions de coopération avec la Tunisie. Dans le même temps, la résolution de nombreuses structures de cristaux moléculaires acheva de convaincre ses collègues chimistes de l'utilité de la cristallochimie et l'augmentation du savoir-faire en cristallogenèse qu'il a contribué à développer par ses incessants conseils permit au service de se développer et d'acquérir des diffractomètres modernes avec détection bidimensionnelle qu'il regardait avec un mélange, d'admiration et de doute. Il continua à s'intéresser aux phosphates et maintint encore quelques années ses bases de données dans le domaine. Par la suite, il ne s'intéressa plus qu'aux composés organo-minéraux et organiques. En 2014, sa santé pulmonaire se dégradant au point de réduire sa mobilité, il mit fin à son activité scientifique du jour au lendemain, conformément à sa vision de l'existence : "peu de changement, pas souvent, mais quand la page est tournée, elle est tournée".
André Durif Varambon nous lègue ainsi une œuvre considérable qui a donné lieu à près de 400 publications, mais aussi à 3 ouvrages majeurs et 4 articles de revue dans le domaine des phosphates. C’était un homme atypique, hors du commun, modeste, extrêmement cultivé, avec un humour caustique et décalé. Ce chercheur très créatif et rigoureux, bourreau de travail, passionné par les cristaux et leur arrangement atomique, a beaucoup apporté au laboratoire de Cristallographie et à ses collaborateurs durant plusieurs décennies, puis au département de chimie de l’Université J. Fourier durant la dernière partie de sa carrière. Pour tout cela, nous souhaitons honorer sa mémoire avec beaucoup de respect et de reconnaissance et adresser nos condoléances à ses proches.
René Masse, Christian Philouze, Jean Louis Hodeau et Alain Ibanez