Gérard Férey s'est éteint dans la nuit du 18 au 19 août 2017. Né à Bréhal en Normandie en 1941, Gérard a poursuivi ses études universitaires à Caen après avoir servi comme instituteur pendant trois années. En 1968, Gérard soutient une thèse de 3ème cycle, dirigée par Madame Walter Lévy, sur des sels basiques de titane. Il est alors nommé assistant à ce qui deviendra l'Université du Maine au Mans pour créer le volet chimie minérale du département chimie de l'Institut Universitaire de Technologie.
Son travail de recherche au laboratoire du Professeur De Pape le conduit à soutenir une thèse de Doctorat d'État en 1977 dans le domaine des fluorures de métaux de transition. Il y excelle dans les corrélations structurales qui permettent d'imaginer des mécanismes de transition de phase dans l'état solide. Sa vision des structures cristallines ne se limite d'ailleurs pas aux fluorures et ses étudiants, de thèse ou de l'IUT, se souviennent de ses dessins à main levée au tableau de toutes sortes d'architectures complexes d'octaèdres. Issue de l'enseignement prodigué par un oncle instituteur, cette capacité s'étend, de plus, au domaine pictural (peinture, mosaïques). En collaboration avec Jean Pannetier, senior scientist à l'Institut Laue Langevin, et aidé par le Professeur Bertaut, de Grenoble, Gérard introduit au Mans la détermination des structures magnétiques à l'aide de la diffraction de neutrons. Il développe alors un concept de frustration d'interactions antiferromagnétiques, novateur pour les fluorures élaborés au laboratoire. Ce sont, en particulier, des phases du fer (III) synthétisées dans un milieu totalement inattendu pour les fluorures, le milieu hydrothermal super-critique, ou par « chimie douce ». Des variétés métastables du fluorure ferrique apparaissent et il faut noter qu'un regain d'intérêt pour ces fluorures de fer s'est manifesté récemment dans le domaine de l'électrochimie, inattendu également pour les fluorures. Durant cette période, Gérard occupe successivement la fonction de vice-président de la recherche de l'Université du Maine (1983-1988), puis le poste de Directeur Scientifique Adjoint du département Chimie du CNRS (1988-1992).
À partir de 1991, un tournant majeur intervient dans la carrière de Gérard puisqu'il aborde la synthèse en milieu hydrothermal sub-critique de fluorophosphates métalliques bâtis autour de cations issus d'amines organiques. C'est toute une famille de solides microporeux, baptisés ULM-n (pour Université Le Mans), qui voit le jour avec l'élaboration de nouveaux édifices structuraux à charpente ouverte. La richesse de ces systèmes chimiques mariant la construction de réseaux minéraux avec l'emploi d'une très grande variété d'amines organiques a permis d'initier une réflexion sur la compréhension des règles qui régissent la formation de ces structures ouvertes. Cette aventure se poursuit à l'université de Versailles en 1996 où il rassemble plusieurs équipes déjà associées au CNRS dans une seule entité, qu'il dirige et désigne Institut Lavoisier de Versailles (ILV). Son équipe, qui a comporté jusqu'à 10 chercheurs/enseignant-chercheurs s'oriente à la fin des années 90 vers la chimie des matériaux hybrides cristallisés microporeux, dans lesquels les réseaux atomiques sont constitués de briques inorganiques liées entre elles par des ligands organiques. Ces solides, qui portent le nom de MIL-n (pour Matériaux Institut Lavoisier) sont apparentés à l'immense famille des Metal-Organic Frameworks (MOF), nouvelle classe de solides poreux apparus au cours des années 90. Cependant, les composés MIL-n possèdent, pour la plupart, la particularité d'être synthétisés à l'aide de cations trivalents (élément de transition d - V, Cr, Fe -, éléments p - Al, Ga…), voire tétravalents (Ti) ce qui en fait la marque des matériaux de son équipe et ce qui a suscité l'intérêt de grands groupes industriels tels que BASF, par exemple. Ils laissent apparaitre dans certains assemblages, des arrangements de motifs super-tétraédriques, conduisant à la formation de réseaux de type zéolithique (famille des MIL-100/101) à larges cavités (> 30 Å), ou encore des réseaux dits « respirants » (famille MIL-53/88), pour lesquels le volume de la maille cristallographique s'adapte à l'espèce chimique insérée ou se modifie en fonction de contraintes physiques (T, P…). Ces matériaux possèdent des propriétés remarquables de porosité (surface BET jusqu'à 4000-5000 m2/g) et ont fait l'objet d'études approfondies afin d'analyser leur capacité d'adsorption de gaz stratégiques (H2, CO2, CH4) ou d'autres molécules plus originales telles que des principes actifs de médicaments.
La stratégie de recherche de Gérard est multiple. Outre la synthèse et la détermination structurale classique inhérentes à la recherche de nouveaux matériaux, il s'est évertué à mettre en place de solides collaborations pour mener des expériences in-situ liées au suivi de la formation de ces solides en condition hydrothermale (DRX à l'aide du rayonnement synchrotron - Dermot O'Hare - Oxford / RMN - Francis Taulelle), ou encore utiliser le rayonnement synchrotron pour localiser les molécules piégées au sein de pores et comprendre les mécanismes à l'origine de la respiration des solides MOF. L'aspect simulation a été pris en compte pour ces études, que ce soit pour la création de nouveaux édifices à partir de briques inorganiques tel un jeu de Légo, ou encore pour modéliser les propriétés d'adsorption des espèces chimiques au sein des charpentes microporeuses. Ces découvertes décrites dans plus de 600 articles (dont certaines dans Science ou Nature Materials), ont gratifié Gérard de très nombreuses distinctions (chevalier de la Légion d'honneur), prix nationaux (médaille d'or CNRS 2010) et internationaux (ENI Award 2009) et l'élection à plusieurs académies (Académie des Sciences, Academia Europaea, Académie nationale de l'Inde, Académie Royale des Sciences, Espagne).
L'emploi de la cristallographie a été au cœur de l'activité scientifique de Gérard et on peut reprendre quelques-unes de ses phrases, prononcées lors d'un entretien lors de son élection à l'Académie des Sciences en 2003. « Une structure cristalline est un livre, il reste fermé si l'on se contente d'une table de coordonnées atomiques. L'ouvrir, c'est à la fois savoir analyser les moindres détails mais aussi pouvoir regarder la structure avec tout le recul nécessaire pour en extraire les ensembles topologiques majeurs et les informations qu'ils recèlent sur la formation du solide ». À la célèbre formule de Platon « nul n'entre ici s'il n'est géomètre », Gérard rajoute « mais nul chimiste n'en sort s'il n'est que géomètre » (UVSQ Mag - avril 2004). Ces quelques mots résument bien l'esprit de Gérard et sa vision d'architecte sur la matière cristallisée. Sa curiosité ne se limite toutefois pas au domaine scientifique : musique (qu'il avait pratiquée au piano), photographie, peinture, occupent une place qu'il ne cessera de partager avec ses amis. Il restera dans nos mémoires comme une personnalité remplie de passion et d'enthousiasme qu'il a communiqués tout au long de sa vie, n'hésitant pas à rencontrer un large public, jeune plus particulièrement, suite à sa réception de la médaille d'or du CNRS.