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Le Professeur Philip Coppens, l'un des géants de la cristallographie des cinquante dernières années, est décédé le 21 juin 2017. L'Union Internationale de Cristallographie a publié l'eulogie écrite par son fils ici. Le numéro d'août 2017 d'Acta Crystallographica B est complètement consacré aux travaux de Philip Coppens. Une courte autobiographie écrite en 2015 peut être trouvé ici. L'hommage écrit par Pierre Becker (Châtenay-Malabry, École Centrale de Paris) pour l'AFC suit ci-dessous.

Le Professeur Philip Coppens (né en 1930)  nous a quittés brusquement le 21 juin 2017, à la sortie de son bureau à l'Université de Buffalo. Sa disparition est un choc terrible pour notre Communauté, sur le plan humain autant que scientifique. Dès les années 1965, il a, par ses premières publications (focalisées sur l'impact potentiel de la cristallographie sur le comportement quantique de la matière), attiré des jeunes scientifiques du monde entier. Sa capacité à mettre en exergue les talents complémentaires aux siens de ses collaborateurs était remarquable : et jamais il n'a cherché à s'approprier les résultats des recherches, ayant comme priorité d'aider ses collaborateurs à développer leur carrière propre. Il est vraiment « le Père » des développements dans le monde du comportement électronique de la matière (basique jusqu'à biologique) à partir de la diffusion des rayonnements. À partir de 1997 (à 67 ans), il a  innové de manière extraordinaire sur l'impact de la diffusion résolue en temps sur le comportement dynamique de la matière, un domaine révolutionnaire : il a su à nouveau passionner  de nombreux jeunes (qui sont atterrés par sa disparition).

Né aux Pays Bas, Philip a débuté la recherche à Amsterdam avec Carolina Mac Gillavry, découvrant l'importance de comprendre l'origine physico-chimique de la structure des cristaux. Il  effectua sa thèse au Weizman Institute en Israel, où il put aborder avec passion les processus phot-induits dans les cristaux (avant la découverte des lasers), en plus de la densité électronique, via des collaborations remarquables, entre autres avec le regretté Fred Hirshfeld. Sa thèse fut soutenue en 1960, comprenant une étude différenciée des propriétés photo-chimiques de deux polymorphes du p-nitrophénol.

Jusqu'en 1968, Philip travailla à Brookhaven National Laboratory, avec des séjours au Weizmann.  Via d'importantes collaborations, en particulier avec Walter Hamilton, Fred Hirshfeld,… il innova  sur la complémentarité X-N pour l'étude du comportement électronique des solides : la première « deformation density map » sur la s-triazine (Science, 1967) a vraiment ouvert un axe de recherches mondial. Philip a mis l'accent sur la « réalité»  de la diffraction, X ou N, impliquant de maitriser absorption, extinction, agitation et diffusion thermique, …, afin d'accéder  à une densité électronique fiable. La qualité de ses travaux a conduit à sa nomination comme professeur à l'Université de Buffalo, où il est resté jusqu'au dernier instant. Philip et le regretté Robert F. Stewart sont la source de tous les groupes qui se sont formés à travers la monde autour de « densités de charge, de spin et d'impulsion ». Des conférences internationales triennales ont démarré (Sagamore, Gordon Research Conferences) à l'initiative de Philip, Richard Weiss, Vedene Smith et collaborateurs internationaux.

Attiré par ses premières visions de la densité de déformation, j'ai séjourné un semestre dans le groupe de Philip fin 1972. J'ai fait la découverte fracassante de la nécessaire maitrise de la réalité expérimentale ; comment différencier pic de diffraction et bruit de fond (voire diffusion thermique), comment prendre en compte la diffraction multiple (extinction primaire), l'effet des défauts (extinction secondaire), comment comparer ces effets aux rayons X et neutrons. Philip a su me motiver de manière incroyable, amenant tous les chercheurs du groupe à communiquer. À la fin du séjour, la « pièce montée » : observation de la diversité des effets de liaison dans le tétra-cyano-éthylène (à l'époque incalculable théoriquement). Plusieurs messages fondamentaux reçus : ne pas s'approprier un résultat, rendre les modèles complexes facilement utilisables par tous, placer les collaborateurs en première ligne. Une expérience inoubliable dans ma vie, et la présence humaine forte de Philip et sa famille lors d'épreuves personnelles. Ce séjour m'a permis d'initier des groupes dans mon pays, avec une ouverture sans frontières, et bien sûr de poursuivre des interactions avec Philip et ses collaborateurs : comment approcher le comportement électronique de molécules et matériaux  complexes, comment exploiter simultanément des données sur densité de charge, d'impulsion, de spin.  Grâce à Philip, le domaine est devenu très structuré dans les divers continents et de nombreuses initiatives voient le jour actuellement, animées par « l'esprit Coppens ».

PC bookPhilip et le regretté Niels Hansen ont produit un modèle multipolaire très flexible de la densité électronique, qui reste aujourd'hui à la base des toutes études. Avec Guru Row, en lien avec le modèle de Slater, nous avons proposé un modèle d'ajustement des fonctions radiales, qui permet, par exemple dans le cas de neutrons polarisés, d'observer la différence entre le comportement radial des électrons de spin différent. Nous avons pu faire la première étude combinée charge/spin avec T. Koritzansky. Un axe prioritaire actuel sur l'exploitation mixte des densités de charge, spin et impulsion est animé par les groupes Français de Nancy, Saclay (grâce à Béatrice Gillon), Ecole-Centrale-Supelec (Jean Michel Gillet), avec une ouverture prometteuse sur « Quantum Crystallography ».

Le groupe de Nancy, animé par Claude Lecomte, s'est particulièrement développé, dont de nombreux membres ont eu une forte interaction avec Philip. Ce groupe a en particulier développé l'approche de la densité et du comportement électronique de protéines, à partir de mesures cristallographiques, basée sur la quasi-transférabilité de fragments constitutifs.

Vaclav Petříček a aussi travaillé avec Philip sur les évolutions structurales liées à des transitions de phase (par exemple métal-isolant pour TTF-TCNQ avec apparition de réflexions incommensurables), à l'évolution électronique et structurale sous l'action de champs électriques, et ce fut un plaisir de collaborer à nouveau sur ces problèmes fondamentaux. Philip a initié, avec A.Volkov et T. Koritzansky, des études importantes sur les propriétés électroniques des cristaux moléculaires et l'approche des énergies d'interaction.

Pour son rôle majeur dans la fiabilité des développements de la cristallographie, Philip a reçu de nombreux prix : en particulier  docteur Honoris Causa à l'Université de Nancy (1989), Prix Aminoff (1996), le Prix Ewald (2005) et il a été élu président de l'IUCR (1993-1996). Son livre « X-Ray charge densities and Chemical Bonding » (1997) résume de manière très pédagogique les points clef du travail accompli.

En 1997 (à 67 ans), Philip estime le temps adéquat pour se lancer dans son « thème d'enfance », la photo-cristallographie. Comme toujours, il a eu des intuitions remarquables quant aux composés à choisir : le premier fut le nitroprussiate de sodium, étudié sous des flashs laser en laboratoire à basse température (ayant de longs états excités). Puis il travailla avec des sources synchrotron (Brookhaven avec des pulses de l'ordre de la pico-second - puis Argonne advanced photon source. Il accueillit de jeunes chercheurs super-motivés de Varsovie (groupe de K. Wozniak), Sebastien Pillet et Bertrand Fournier du groupe de C. Lecomte) …, qui ont permis le développement de ces nouvelles recherches fascinantes. Il fut possible avec Philip de détecter des contractions de 0.28 Å des liaisons Pt-Pt à 16 K sur un état excité de durée 50 µsec. Puis il développa des études sur le comportement de nanoparticules, en particulier avec Jason Benedict, responsable actuel du groupe de recherches. Jason a organisé un colloque pour le départ en retraite de Philip le 22 octobre 2016, une journée inoubliable,  qui a réuni la plupart des principaux collaborateurs restés très fortement liés.

Philip Coppens restera pour les scientifiques une personnalité unique, exigeant mais si impliqué dans l'avenir et la vie de ses collaborateurs. Et il a aussi réussi au niveau de sa famille, toujours accueillante et proche des personnes. Son esprit est toujours présent et nous guide.

Pierre Becker