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La diffraction des rayons X par des poudres cristallines a été imaginée en 1915 par Paul Scherrer et Peter Debye à l'Université de Göttingen, en Allemagne et, indépendamment, de l'autre côté de l'Atlantique, en 1916, par Albert Hull, au laboratoire de General Electric, à Schenectady, aux Etats-Unis.
cliche LifPeter Debye, né le 24 Mars 1884 à Maastricht, Pays-Bas, a d'abord été l'assistant de Sommerfeld à Münich, où il a passé sa thèse, puis professeur successivement aux Universités de Zürich, Utrecht et Göttingen. En 1912, il publie un article sur la chaleur spécifique et la dynamique des vibrations Peter Debyedans les réseaux cristallins qui fait craindre à Sommerfeld que l'expérience prévue par Laue serait vouée à l'échec. Comme l'on sait, il n'en a rien été et, dans une série d'articles publiés en 1913, Debye calcule l'influence des vibrations cristallines sur l'intensité des taches de diffraction (le facteur de Debye). En février 1915, il exprime l'intensité diffractée par une distribution aléatoire de molécules, ce qui l'incite à demander à Scherrer de faire diffracter les rayons X par une poudre. Paul Scherrer, né le 3 Février 1890 à Saint-Gall, Suisse, qui préparait sa thèse sous la direction de Peter Debye à l'Université de Göttingen, a alors l'idée de recueillir l'intensité diffractée par un échantillon constitué par une poudre très fine de fluorure de lithium sur un film photographique placé dans une chambre cylindrique de 57 mm de diamètre. Au vu du premier diagramme de diffraction par une poudre, Debye s'est étonné de la finesse des raies et Scherrer s'est félicité du choix d'un matériau cubique, ce qui facilitait l'interprétation des raies. Paul ScherrerCe premier travail fut soumis à la Société des Sciences de Göttingen le 4 décembre 1915 et publié en mai 1916 ; un deuxième travail fut consacré à la diffraction par les liquides, en particulier le benzène, publié également en 1916, et un troisième à la diffraction par le graphite et à sa structure, publié en 1917. En 1918, Scherrer publia un article fondamental sur la relation entre la largeur des raies et la taille des particules de la poudre (formule de Scherrer) ; modifiée par Seljakov en 1925, généralisée par Laue en 1926 puis par Stokes et Wilson en 1944, cette formule joue un rôle très important dans les applications de la méthode des poudres. La même année, 1918, Debye et Scherrer déduisirent de l'analyse des intensités diffractées que, dans le fluorure de lithium, un électron de valence est transféré du lithium vers le fluor - un premier pas vers l'étude des densités électroniques à partir de la diffraction des rayons X.

Quant à lui, Albert Hull, né le 19 Avril 1880 dans une ferme du Connecticut, aux Etats-Unis, a rejoint en 1914 les laboratoires de General Electric, à Schenectady, dans l'état de New York, aux Etats-Unis, à l'invitation de Langmuir et de Coolidge, après une carrière d'enseignant au Worcester Polytechnic Institute du Massachusetts. Lors d'une visite de Sir W. L. Bragg en 1915, Hull avait demandé à ce dernier quelle était la structure du fer. Sur la réponse de celui-ci que cette structure était encore inconnue, Hull vit là un défi à relever. Ne disposant pas de monocristaux de fer, il exposa de la limaille de fer au rayonnement d'un tube de Coolidge. Il obtint rapidement un bon diagramme de diffraction dont il confia, faute de temps, l'interprétation à une jeune assistante, lui demandant simplement d'utiliser la relation de Bragg. L'assistante, inexpérimentée, ne s'en sortit pas, mais Hull trouva un microcristal de fer à 3% de silicium, de 6 mm de côté. Le digramme de diffraction montra aussitôt que le fer est cubique centré et Hull donna une interprétation correcte du diagramme de poudres. Les résultats de cette première étude furent présentés le 27 Octobre 1916 à une réunion de la Société Américaine de Physique et publiés au début de 1917. En ce milieu de la Albert HullPremière Guerre Mondiale, l'écho des travaux effectués à Göttingen n'étaient pas parvenu jusqu'à lui ! En observant la décroissance de l'intensité quand l'angle de Bragg augmente, Hull montra que les rayons X n'étaient pas diffractés par des centres ponctuels, mais par la distribution électronique autour du noyau. On voit que la diffraction par les poudres a permis à Debye et Scherrer et à Hull des avancées théoriques tout-à-fait fondamentales.  Hull a entrepris ensuite, au cours des années 1917-1922, une impressionnante série de déterminations de structures d'éléments : Al, Ni, Li, Na, Si, Cr, Ca, Co, Ir, Pd, Pt, Rh, Mo, Ta, Cd, Ru, Zn, In, Th, Ce, Ti, Os, Zr, V, Ge, ainsi que celle du graphite. Debye et Scherrer avaient conclu que le graphite était rhomboédrique, mais Hull a montré qu'il est hexagonal et son modèle est plus proche de la structure définitive, établie par Bernal en1924.

La méthode des poudres s'est répandue très rapidement et d'autant plus facilement qu'elle n'exigeait pas d'échantillons de grande qualité cristalline. Son champ d'applications est vaste : minéralogie, pétrographie, métallurgie, science des matériaux. La première de ces applications a naturellement été la détermination de structures cristallines et des paramètres cristallins. La méthode a été améliorée par W. H. Bragg (1921) en utilisant un échantillon de poudre plat et en mesurant l'intensité diffractée avec une chambre d'ionisation, ce qui a été utilisé notamment par Owen et Preston en Angleterre pour l'étude de la structure de nombreux alliages. Seeman (1919) et Bohlin (1920) ont, de leur côté, utilisé un échantillon courbe et un spectromètre à focalisation, montage amélioré par Brentano en 1924. L'une des difficultés de la méthode des poudres réside dans l'indexation des diagrammes de substances non cubiques, surtout si l'on ne dispose pas de données cristallographiques. Une analyse mathématique systématique a été proposée dès 1917 par Runge, mais elle est très laborieuse et ne s'est développée qu'à l'aide de programmes informatiques. Une autre méthode, proposée par Hull et son collaborateur Davey (1921) utilise des abaques et est particulièrement commode pour des échantillons appartenant aux systèmes rhomboédrique, quadratique et hexagonal.

Les déterminations de structures d'alliages se sont multipliées dans les années 1920, en Europe (Grande- Bretagne, Suède, Hollande, Allemagne) et aux Etats-Unis, permettant l'établissement de diagrammes de phase précis, ce que le simple examen métallographique ne permettait pas, et l'émergence de notions comme celle de solution solide (E. C. Bain, 1923) et de composé intermétallique. La méthode des poudres permet aussi de suivre directement les transformations ordre-désordre, comme dans le système or-cuivre, qui se traduisent par l'apparition de raies de surstructure dans les phases désordonnées. L'observation par Jones et Sykes en 1938 d'un élargissement de ces raies a conduit ces auteurs à conclure à la présence de domaines antiphases dans l'alliage AuCu3. La théorie de cet effet a été développée par Wilson en 1943. Pour la détermination de structures plus complexes, il a fallu attendre la méthode d'affinement développée par Rietveld en1966-1969.

Les raies de diffraction de poudres sont également très sensibles au degré de perfection du cristal. Leur profil dépend à la fois de la taille des grains de la poudre, ainsi qu'il a été rappelé plus haut, mais aussi de la distribution des défauts, micro-macles ou fautes d'empilement, introduits lors de l'écrouissage des métaux et alliages, comme il a été montré par B. E. Warren et son école dans les années 1950. Lors du recuit de ces matériaux la taille des grains peut augmenter et adopter des orientations préférentielles, au point que les diagrammes de diffraction deviennent ponctués, ce qui a été observé dès les années 1920.

Une autre application majeure de la méthode des poudres est bien sûr l'identification des phases cristallines et de substances inconnues. Elle a été introduite dès 1919 par Hull comme une « méthode d'analyse chimique par rayons X ». Le diagramme de poudres d'une substance est en effet caractéristique de cette substance, son empreinte digitale, en quelque sorte. En 1936, J. D. Hanawalt et H. W. Rim ont proposé une méthode pour identifier un matériau par son diagramme de poudres, et, en 1937, un fichier des diagrammes de diffraction de toutes les substances connues (Powder Diffraction File) a été établi sous les auspices de l'ASTM (American Society for Testing and Materials). Ce fichier a été maintenu depuis 1969 par le Joint Committee on Powder Diffraction Standards (JCPDS), devenu en 1978 l'International Centre for Diffraction Data (ICDD).

André Authier

Pour plus de détails, consulter : A. Authier, Early Days of X-ray Diffraction. Oxford University Press. Paperback Edition, 2015.
Figures: en haut à gauche - Cliché de diffraction de LiF par Debye et Scherrer (source: http://www.scs.illinois.edu/xray_exhibit/ImagePages/debye-scherrerImage2.php); à droite - Peter Debye, Paul Scherrer, Albert Hull.

Une journée de célébration des 100 ans de la méthode des poudres et des 50 ans de la méthode de Rietveld a lieu au Shell Technology Centre à Amsterdam le 22 septembre 2016.