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Eric Collet, lauréat du prix Alajos Kálmán 2022 distinguée par l'European Crystallography Association, nous livre un aperçue de ses récents résultats basés sur les techniques ultrarapides et la photocristallographie.

 

Eric Collet,a Céline Mariette,b Maciej Lorenc,a Marco Cammaratab
a Univ Rennes, CNRS, IPR (Institut de Physique de Rennes) - UMR 6251, F-35000 Rennes, France.b European Synchrotron Radiation Facility, 71 avenue des Martyrs, F-38000 Grenoble, France

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Figure 1. Structure du Bi où l'intensité des raies de Bragg (111) et (222) varient avec la distance Bi-Bi X. L'évolution temporelle de l'intensité I111(t) permet de remonter à l'évolution temporelle de X(t) (axe de droite)
Les propriétés des molécules, matériaux ou systèmes biomoléculaires sont intimement liées à leurs organisations électroniques, atomiques, moléculaires ou supramoléculaires. L'émergence de fonctions est liée aux réorganisations de ces constituants de la matière, sous l'effet de contraintes extérieures telles qu'un champ magnétique ou électrique, un changement de température ou de pression, ou encore la lumière. Les expériences de cristallographie, d'absorption et d'émission des rayons X ont donné lieu à des avancées majeures dans la compréhension de ces phénomènes. Elles sont le plus souvent étudiées à l'équilibre ou sur des échelles de temps accessibles par des méthodes plus ou moins conventionnelles, intégrant les signaux autour d'une distribution statistique moyenne, donnant souvent accès à la cinétique et non à la dynamique.
Le développement de lasers générant des impulsions femtoseconde (1 fs=10-15s), de durée similaire à celle des mouvements atomiques élémentaires, a ouvert la voie à l'observation de l'évolution de la matière sur les échelles de temps liées aux dynamiques intrinsèques de ses composants. Les expériences de diffraction ou de spectroscopie des rayons X à haute résolution temporelle développées sur synchrotrons ou sur X-FEL permettent de suivre ces processus avec une résolution spatiale sub-Angström et une résolution approchant la femtoseconde (Chergui & Collet, 2017, Collet & Ravy, 2021). Dans ces expériences dites pompe-sonde, un flash laser femtoseconde de pompe vient exciter le système et déclenche une transformation. Un flash de rayons X de sonde vient mesurer l'état du système à un instant donné après excitation. En répétant cette mesure à différents instants il est possible de reconstruire le film de la transformation.
L'étude de l'excitation du phonon cohérent dans le Bismuth est un cas d'école pour illustrer les capacités des expériences ultra-rapides (Sokolowski-Tinten et al., 2003). Ce matériau cristallise dans une maille rhomboédrique, où les deux atomes de Bi de la maille sont alignés suivant sa grande diagonale, alternant des distances interatomiques Bi-Bi courtes (X) et longues (1-X). Les facteurs de structure des raies de Bragg (hhh) s'écrivent Fhhh=2fBicos[𝜋(h+h+h)X] et l'intensité de la raie de Bragg (111) varie alors comme I111=4fBi2cos2[3𝜋X]. A l'équilibre, X0 = 0.467. L'excitation par une impulsion laser chauffe les électrons, ce qui modifie la distribution électronique entre états plus ou moins liants et de façon quasi-instantanée la distance d’équilibre Bi-Bi vers une nouvelle valeur X1. L'augmentation temporelle de la distance X(t) se traduit par une diminution de I111(t), alors que l'oscillation amortie des atomes autour de cette nouvelle position d'équilibre, se traduit par l'oscillation amortie de I111(t) (Figure 1). Ces expériences ultra-rapides permettent donc de suivre en temps réel les mouvements atomiques, ici la distance X(t), au travers de l'intensité des raies de Bragg (Collet et al., 2015). Ce type d'étude est à présent réalisé dans des systèmes beaucoup plus complexes, où des réorganisations moléculaires sont suivies en temps réel au travers de l'évolution de l'intensité de nombreuses raies de Bragg.





L'excitation par un flash laser intense de matériaux peut aussi conduire à de réelles transitions de phases, sur des échelles de temps ultrabrèves. C'est le cas de l’oxyde de titane (Ti3O5) nanocristallin qui présente une transition de phase à l'équilibre d'un état semiconducteur à un état métallique au-dessus de 460 K. Cette transition peut aussi être induite par une impulsion laser à température ambiante. La question est donc de savoir s'il s'agît d'un simple effet de chauffage, relativement lent, ou si le mécanisme est plus complexe. En utilisant la diffraction des rayons-X sur le SwissFEL, nous avons étudié cette transition de phase photoinduite en collaboration avec nos collègues japonais, dans le cadre du laboratoire de recherche international avec l'université de Tokyo (IRL DYNACOM). Cette étude (Mariette et al., 2021) a révélé l'aspect multi-échelle de la dynamique de transformation. L'analyse de l'évolution de l'intensité des raies de Bragg montre que juste après l'excitation laser les positions atomiques évoluent, en particulier les distances Ti-Ti, pour s'équilibrer avec l'état électronique excité. La structure cristalline de la phase semiconductrice excitée évolue alors vers celle de la phase métallique en quelques ps, ce qui induit aussi une expansion de la maille et l'apparition des raies de Bragg de la phase métallique. Cette dilatation cristalline accompagnant la transition photoinduite, initialement induite en surface, se propage alors dans les nanocristaux à la vitesse du son, car la transformation des nanocristaux est alors pilotée par cette onde de déformation élastique, partant de la surface excitée de l’échantillon et se propageant en volume. Ce mécanisme, qui correspond à une propagation de phase piloté par les réorganisations atomiques microscopiques, est plus rapide (quelques picosecondes) de plusieurs ordres de grandeur que les mécanismes de dissipation thermique plus conventionnels.

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Figure 2. A gauche : représentation du changement de structure atomique correspondant à la transition semi-conducteurà métal dans le Ti3O5. A droite : représentation de l'excitation laser d'un nanocristal de Ti3O5 et de la propagation de la phase métallique photoinduite (orange) dans l'état semiconducteur (en bleu). (Mariette et al., 2021)

 

Les expériences de spectroscopie X apportent aussi des informations essentielles sur les processus photoinduits de transformation de molécules ou matériaux (Chergui & Collet, 2017). Dans les matériaux dérivés du bleu de Prusse, le transfert d'électron provoqué par la lumière permet de rendre certains matériaux magnétiques. Dans ces réseaux de coordination, tels que les matériaux Co-Fe(CN)6, les ions Co et Fe sont pontés par des ponts cyanures dans des champs cristallins octaédriques. Il existe alors deux configurations électroniques - structurales stables liées à un transfert de charge (CT) entre le Fe et le Co : CoIII(S=0)FeII(S=0) ou CoII(S=3/2)FeIII(S=1/2). Dans l'état HS CoIIFeIII, la population des orbitales Co(eg) anti-liantes allonge les liaisons Co-N de »0,2 Å et cette transition de spin (ST) sur le Co est la principale coordonnée de réaction.

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Figure 3. (a) Le photomagnétisme pour le Co(NC)6Fe entre état CoIIIFeII et CoIIFeIII est associé au transfert d'électron de l'atome de Fe vers le Co, stabilisé par l'élongation des liaisons Co-N. Deux voies de transformation semblaient possibles : la voie A ou le transfert l'électron induit par la lumière allonge ensuite les liaisons Co-N, ou la voie B observée expérimentalement où l'élongation des liaisons Co-N induite par la lumière résulte  en un transfert d'électron. Les figures b et c montrent les changements XANES ultraraoides aux seuils du Co et du Fe.


Le transfert de charge photo-induit Fe→Co avait été mis en évidence en 1996, mais la quête pour comprendre et contrôler ce processus ultra-rapide est longtemps restée vaine : est-ce le transfert d’électrons qui induit les mouvements atomiques ou vice versa ? Pour répondre à cette question, nous avons réalisé des expériences XANES avec une résolution d'environ 25 fs au X-FEL LCLS à Stanford (Cammarata et al., 2021), qui ont fourni des informations directes sur les dynamiques électroniques et structurales. Elles ont montré que l'excitation optique de type CoIII(t2g)→ CoIII*(eg) induit la transition de spin sur le Co, ce qui allonge les liaisons Co-N en »50 fs. Ceci est caractérisé par une variation rapide de l’absorption au-dessus du seuil du Co 7770 eV car l'élongation des distances Co-N déplace l'a première oscillation EXAFS vers cette énergie. Le XANES est aussi une technique de choix pour mesurer les changements d'état d'oxydation des métaux, et nous avons mis en évidence que le transfert de charge n'a lieu que dans une seconde étape en »200 fs. Cette échelle de temps du CT CoIIIFeII → CoIIFeIII est caractérisée par le décalage du spectre XANES au seuil du Fe vers les hautes énergies et au seuil du Co vers les basses énergies.  Certaines énergies, correspondant aux points isobestiques pour les états CoIIIFeII et CoIIFeIII (7131 eV et 7727,1 eV), sont aussi particulièrement sensibles à la présence de l'état intermédiaire CoIII* initialement excité. Ces résultats apportent une réponse claire à une question débattue depuis des décennies, en démontrant que dans ce composé CoFe prototype photoexcité, la voie de transformation est une transition de spin photoactivée qui induit le transfert de charge (voie B sur la fig. 3).

Ces exemples illustrent les possibilités nouvelles pour distinguer les dynamiques électroniques, atomiques, ou cristallines jusqu'aux échelles femtoseconde, ce qui constitue un enjeu majeur pour le développement d'une science du contrôle ultra-rapide des matériaux par la lumière.

Références
Cammarata, M., Zerdane, S., Balducci, L., Azzolina, G., Mazerat, S., Exertier, C., Trabuco, M., Levantino, M., Alonso-Mori, R., Glownia, J. M., Song, S., Catala, L., Mallah, T., Matar, S. F. & Collet, E. (2021). Nature Chemistry 13, 10-14.
Chergui, M. & Collet, E. (2017). Chemical Reviews 117, 11025-11065.
Collet, É., Harmand, M., Couprie, M.-E. & Cammarata, M. (2015). Reflets de la physique, 44-49.
Collet, E. & Ravy, S. (2021). Comptes Rendus. Physique 22, 3-14.
Mariette, C., Lorenc, M., Cailleau, H., Collet, E., Guérin, L., Volte, A., Trzop, E., Bertoni, R., Dong, X., Lépine, B., Hernandez, O., Janod, E., Cario, L., Ta Phuoc, V., Ohkoshi, S., Tokoro, H., Patthey, L., Babic, A., Usov, I., Ozerov, D., Sala, L., Ebner, S., Böhler, P., Keller, A., Oggenfuss, A., Zmofing, T., Redford, S., Vetter, S., Follath, R., Juranic, P., Schreiber, A., Beaud, P., Esposito, V., Deng, Y., Ingold, G., Chergui, M., Mancini, G. F., Mankowsky, R., Svetina, C., Zerdane, S., Mozzanica, A., Bosak, A., Wulff, M., Levantino, M., Lemke, H. & Cammarata, M. (2021). Nature Communications 12, 1239.
Sokolowski-Tinten, K., Blome, C., Blums, J., Cavalleri, A., Dietrich, C., Tarasevitch, A., Uschmann, I., Forster, E., Kammler, M., Horn-von-Hoegen, M. & von der Linde, D. (2003). Nature 422, 287-289
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