Charles Zelwer (1940-2017) s'est éteint le 30 octobre dernier. Cette disparition discrète et soudaine a plongé ses collègues et ses amis dans une peine profonde. Les souvenirs de Charles, de ses engagements scientifiques et politiques au CNRS, de ses passions, de ses enthousiasmes et de ses entêtements, éblouissent d'un coup notre mémoire. Son parcours de chercheur militant est indissociable d'une introspection sur les circonstances singulières de sa jeune enfance, enfant caché pour assurer sa survie. Cet exercice a culminé quand Charles a fait paraître en 2014 un roman autobiographique « Face au miroir sans reflet », dans lequel il inventorie ce qu'il avait coutume d'appeler le « fatras » de sa vie.
Né à Paris en décembre 40 de parents juifs d'origine polonaise, qu'il qualifie de plutôt gauchistes, Charles est caché à 18 mois dans une famille d'accueil catholique. La rupture de ses liens de filiation durant cette période a marqué Charles durablement. Ayant pleinement retrouvé ses parents à la libération, il entame un parcours scolaire exemplaire qui le mène au titre d'ingénieur-chimiste de l'ENSCP en 1962. Chimiste par vocation, il est aussitôt recruté par le CNRS et prépare une thèse sous la direction de Georges Tsoucaris. Durant cette période, il s'initie à la cristallographie de petites molécules puis perfectionne son art en collaboration avec Colette de Rango.
En 1971, coup de théâtre, Charles Zelwer quitte Bellevue pour Gif-sur-Yvette. La raison : des biochimistes, Jean-Pierre Waller et Jean-Loup Risler ont obtenu des cristaux d'une protéine enzymatique, la méthionyl-ARNt synthétase. L'occasion est ainsi donnée en France de lancer pour la première fois l'étude cristallographique d'une protéine et ainsi contrebalancer le monopole anglo-saxon dans ce champ disciplinaire. Il fallait un cristallographe, Charles Zelwer a été celui-là, avec Claude Monteilhet puis Simone Brunie comme autres mousquetaires. La quête du Graal, abritée par le laboratoire de Vittorio Luzzati au Centre de Génétique Moléculaire, et appuyée par les biochimistes à Gif-sur-Yvette puis à l'Ecole polytechnique, s'est révélée deux fois gagnante. La première structure 3D obtenue a désinhibé l'intérêt de la biochimie française pour les approches « relations structure-fonction ». Quelques années après, plusieurs autres groupes de cristallographie biologique ont ainsi vu le jour. Par ailleurs, la famille des aminoacyl-ARNt synthétases est et reste indissociable de l'interface entre le monde des ARNs et celui des protéines. L'entreprise des mousquetaires français a été pionnière dans ce domaine, précédant nombre d'excellents laboratoires dans le monde.
L'obtention d'un modèle à haute résolution de la méthionyl-ARNt synthétase a été longue. Le renfort d'Yves Mechulam à Polytechnique et celui de collègues japonais ont finalement fait aboutir le projet démarré trente ans plus tôt. Charles Zelwer et une jeune chercheuse, Laurence Serre, resteront à la manœuvre jusqu'au bout.
Au tout début des années 90, anticipant un tournant dans ses thèmes de recherche, Charles Zelwer, maintenant familiarisé avec la biochimie des protéines, lance en collaboration avec Serge Boiteux et Jacques Laval de l'Institut Gustave Roussy à Villejuif un projet de biologie structurale sur une enzyme de réparation de l'ADN, la formamidopyrimidine-ADN glycosylase. Il recrute son premier thésard sur ce thème.
À l'époque, 93-94, Charles s'est engagé dans le regroupement parrainé par le programme « IMABIO » de plusieurs cristallographes parisiens au Laboratoire d' Enzymologie à Gif-sur- Yvette. Mais, nouvelle révolution dans la carrière de Charles, Paul Vigny, tout juste intronisé directeur du Centre de Biophysique Moléculaire du CNRS d'Orléans l'appelle à créer de toutes pièces une équipe de Cristallographie Biologique. Plusieurs jeunes collaborateurs, chercheurs, doctorants et ingénieurs comme Bertrand Castaing, Nadège Hervouet-Coste, Laurence Serre, Franck Coste, Hélène Bénédetti, et plus tardivement Alain Roussel, s'associent à ce défi. Très vite les premières structures cristallographiques orléanaises « pur jus » arrivent. Ayant quitté Gif-sur-Yvette, Charles a donc réussi son pari : fonder en Région Centre-Val de Loire une équipe performante dédiée aux études structurales des protéines par cristallographie, une véritable singularité régionale qui s'épanouit toujours de nos jours. Cette notoriété s'est traduite entre autres choses par l'organisation sous la présidence de Charles Zelwer de la réunion triennale AFC98 à Orléans.
L'équipe s'est très vite intégrée au paysage scientifique régional grâce à de nombreuses collaborations avec des collègues orléanais et tourangeaux. À travers ses thématiques propres, elle s'est inscrite dans la compétition internationale en participant à l'élucidation des bases moléculaires de la reconnaissance des dommages de l'ADN par les ADN glycosylases. À ce jour, l'équipe reste la seule en France à avoir réussi à développer une étude des complexes ADN glycosylase/ADN endommagé, étape importante dans la réduction des risques de cancer. Un autre résultat marquant à rappeler ici a été la résolution par la méthode MAD de la structure cristallographique d'un fragment d'ADN modifié par un adduit inter-brin du cis-platine (en utilisant le signal anomal du platine et ayant à l'époque nécessité seulement une semaine d'enregistrement des données de diffraction au LURE). Cette performance a associé Marc Leng du Centre de Biophysique Moléculaire et Roger Fourme du LURE, deux éminents collègues aujourd'hui disparus.
Avant de faire valoir ses droits à la retraite en 2007, Charles Zelwer a eu la satisfaction de voir deux nouvelles jeunes équipes de recherche se former à partir de son laboratoire. Ces essaimages qui revendiquent l'héritage de Charles et perpétuent des thèmes de recherche qui lui étaient chers, enrichissent le Centre de Biophysique Moléculaire et la Région Centre-Val de Loire dans les approches structure fonction des phénomènes biologiques.
Outre l'auteur et le scientifique, il faut souligner chez Charles l'Homme engagé et investi dans la politique scientifique et dans le bien-être professionnel et personnel de ses collaborateurs les plus proches. De 1991 à 2000, Charles a régulièrement siégé comme membre du comité national dans la section de biochimie. En 2001, il a été élu au conseil scientifique du CNRS, ayant à cœur le développement de la biologie structurale et celui de l'interface chimie-biologie en France. Une voix puissante et chaude que personne n'a oubliée, et qui masquait la douceur d'un homme de culture, d'une grande sensibilité et d'une rare élégance.
Tant de souvenirs de Charles nous reviennent. Nos pensées vont à Danièle, sa femme, et à sa famille.
Sylvain Blanquet et Bertrand Castaing (Centre de biophysique moléculaire à Orléans)